Pourquoi simplifier efficacement n’est jamais simple ?
24 avril 2014
Qui n’a jamais pensé que la vie serait plus belle si tout était plus simple ? Le choc de simplification voulu par notre président vise, prioritairement, à faciliter la vie des entreprises et l’on ne peut qu’adhérer à cet objectif. Pourtant, avant de mettre la simplification en oeuvre, le bon sens commande de s’interroger sur ce qui a conduit à rendre une chose ou une procédure complexe. Car la complexité provient, le plus souvent, de l’application d’un principe au départ anodin sans analyse préalable des conséquences de son application. Et cela débouche sur des situations ou procédures provoquant l’incompréhension des victimes, voire l’hilarité des observateurs. Pour simplifier avec succès, il est indispensable de mettre en perspective, avec les objectifs de la simplification, le pourquoi, le comment et les enjeux réels de celle-ci. Pas forcément simple, mais indispensable.
La simplification par le vide ou par l’unification : souffler n’est pas jouer
Face à une situation compliquée, simplifier par le vide est la solution de facilité : on élimine purement et simplement ce qui est compliqué sans rechercher l’origine de cette complexité. C’est jeter le bébé avec l’eau du bain. Le dernier exemple est le projet de suppression de l’obligation de déposer les comptes aux greffes pour les petites entreprises. On supprime cette procédure sans se poser la question de savoir si cette obligation de dépôt a été utile, pourquoi elle a pu l’être et si elle le serait encore. Dans cet exemple, pourtant, les petites entreprises devront continuer à déposer leurs comptes auprès de leurs créanciers et prêteurs comme les banques. L’économie du dépôt dans les greffes n’apporte, au final, pas grande simplification.
Réformateurs et conservateurs sont, de ce point de vue, du même bois : ils tendent à appliquent des idées simples, voire simplistes, avec un seul angle de vue dans un monde qui a trois ou quatre dimensions. Si supprimer suffisait, fallait-il attendre aussi longtemps pour le faire ? N’aurait-il pas fallu creuser un peu avant de décider ? Mais piocher sur de tels sujets exige plus que des réunions tardives entre membres de cabinets ministériels, brillants mais sans expérience de l’entreprise, comprenant la situation dans ses grandes lignes mais incapables pour autant de calibrer chaque action nécessaire. Certes, si l’objectif prioritaire est de réformer d’une façon très visible et très rapide, le recours à la suppression pure et simple de l’existant est évidemment tentant.
Une autre forme de simplification par le vide est la simplification par l’unification ou l’uniformisation. L’idée est de remplacer dix procédures par une seule. Mais rien ne garantit que la nouvelle procédure ne regroupe pas les complexités des dix précédentes, ni n’implique de nouvelles tâches qui devront s’appliquer à tous les cas alors qu’elles ne sont nécessaires que pour certains.
A l’épreuve du temps : la procédure simplificatrice dans la durée
Rassembler plusieurs procédures en une seule apporte un risque objectif de complexité : la maintenance de cette nouvelle procédure. Celle-ci couvrant une multitude de cas ou impliquant une multitude d’acteurs, sa maintenance deviendra lente et laborieuse. Le principe d’unanimité de l’Union européenne montre assez bien l’inertie que peut produire l’uniformité, l’unanimité et tout ce qui est unique en général. La maintenance – qui n’est rien d’autre que l’évolution nécessaire à l’adaptation – devient très lente, voire impossible. L’une des grandes causes de complexité est qu’une réforme n’est évaluée, quand elle l’est, qu’à l’aune de sa « vitesse de croisière » supposée : on juge que la complexité initiale générée par la réforme sera compensée lorsque celle-ci aura atteint un état stabilisé. Or, dans la majorité des cas, il n’y aura ni vitesse de croisière, ni état stable, seulement une perpétuelle évolution de l’environnement et de nouvelles réformes. C’est là l’inexorable maintenance de la loi !
Une illustration récente nous est offerte par la déclaration sociale nominative (DSN), ce projet de nouvelle déclaration se substituant à une dizaine d’autres. Cette nouvelle génération de déclaration des entreprises vers les pouvoirs publics représente une belle avancée sur l’uniformisation des indicateurs utilisés dans la (très) complexe sphère sociale française. Mais cette simplification cache un risque. Pour adapter la DSN au fil des évolutions réglementaires, il faudra dorénavant impliquer la totalité de la chaîne de la protection sociale, dans laquelle on trouvera sans doute des acteurs qui seront impactés sans être concernés. Ce risque est proportionnel à la volatilité de la réglementation sociale et, en la matière, les deux derniers gouvernements ont été très actifs.
Donner « du sens » : ce que l’on comprend bien et utilise souvent paraît plus simple
La notion de simplicité est très subjective. Nous avons tous le souvenir, à l’école, de telle matière qui nous semblait absconse quand d’autres la trouvait simple, et réciproquement. On disait alors que tel élève, contrairement à tel autre, avait « la bosse des maths ». Pourtant, comprendre le sens de la matière enseignée faisait souvent toute la différence : avoir perçu l’utilité de la discipline et, surtout, en trouver l’usage pour soi, faisait tout paraître plus simple. Voilà un des rares domaines où l’école prépare bien à la réalité de l’entreprise ! Ce ressenti de l’enfant – « à quoi cela peut-il bien servir ? » – se retrouve souvent dans le quotidien des entreprises face à l’administration. Les entreprises n’ont pas toutes « la bosse de l’administratif ». On voit cela, notamment, en contrôle de gestion : une maison-mère qui ne demanderait à ses filiales que des indicateurs que ces filiales utilisent par ailleurs elles-mêmes, pour leur propre pilotage, augmenterait les chances d’obtenir des données justes. Mieux encore, elle ne risquerait pas de voir ses filiales lui reprocher d’alourdir leur travail et de les détourner de leur métier.
De la même façon, si l’Etat demandait aux entreprises de fournir des données qu’elles comprennent et utilisent elles-mêmes pour leur propre gestion, la compréhension et la lisibilité que celles-ci en auraient suffiraient à ce que cela soit simple. Et la tâche, la complexité résiduelle comprise et donc admise, se résumerait au partage de l’information avec les pouvoirs publics pour le bien collectif. Voilà pourquoi le choc de simplification devrait aussi être celui de la lisibilité. A titre d’exemple, la notion de « contrats simultanés entre un employeur et un salarié » à déclarer en DSN n’induit-elle pas en erreur, laissant penser à l’entreprise qu’elle peut signer, sans contrainte vis-à-vis du code du travail, plusieurs CDD avec un salarié couvrant la même période ?
Marketing de la simplification : simplifier, oui, mais pour qui ?
Et si la simplification était, aussi, une affaire de marketing ? Pas ce « marketing miroir » qui renvoie au consommateur sa propre frustration, qui masque ou maquille les caractéristiques objectives du produit. Plutôt le « marketing de l’offre », qui étudie le besoin du client pour mieux le servir, notamment définir le cahier des charges du produit. En d’autres termes, lorsqu’on simplifie, la première question à se poser devrait être : pour qui cela doit-il être plus simple ? Si l’objectif est de simplifier la vie de l’entreprise et de l’utilisateur final, reporter la complexité sur des experts ou des services de l’Etat ne semble pas illégitime ! Or, quand on demande aux entreprises ce qu’elles pensent des motivations du grand projet DSN annoncé par la Présidence de la République comme l’une des mesures importantes du choc de simplification, elles répondent : simplifier pour l’administration (étude SDDS sur un échantillon de 384 entreprises, mars 2014) plutôt que pour l’entreprise.
Un vieil exemple est celui de l’échange de formulaire par Internet (EFI). Le « marketing miroir » expliquait que, grâce à la modernité de l’Etat, les entreprises allaient déclarer sur internet plutôt que d’envoyer de compliqués formulaires Cerfa. En fait, les entreprises allaient devoir saisir deux fois les déclarations ! L’Etat se défaussait en toute simplicité (sic) de cette saisie sur elles au nom de la modernité. C’était plus simple pour l’Etat mais plus compliqué pour l’entreprise. C’est à cette époque qu’a été fondée la SDDS et qu’elle a fait la promotion de L’EDI (échange de données informatisées ou electronic data Interchange). Cette approche a relevé du marketing de l’offre. Quels pouvaient être les besoins des entreprises qui produisaient déjà les formulaires Cerfa automatiquement à partir de leur logiciel ? C’était de les envoyer automatiquement et de recevoir dans les 24 heures leur bilan de conformité qu’il fallait, jusque-là, attendre plusieurs semaines. Il faut bien constater que les grands chantiers de simplification ont, jusqu’ici, été conduit beaucoup plus souvent au profit de l’Etat qu’à celui des entreprises.
A contrario, les travaux menés au sein des instances pilotant la DSN, notamment sur le référentiel des données, témoignent d’un vrai souci de simplifier pour l’entreprise sans espérer quoi que ce soit en retour. Une démarche positive qui demande cependant, pour aboutir, des modifications réglementaires.
Simplification et confiance
La débauche de lois et l’habitude de répondre à une question ou une dérive par une loi supplémentaire contribuent au recul de la simplicité. Il est assez cocasse de voir notre gouvernement parler de choc de simplification et enchaîner des mesures comme le CICE (crédit d’Impôt pour la compétitivité des entreprises), la suppression de l’exonération fiscale sur le financement patronal des couvertures complémentaires de frais de santé, le compte pénibilité, un arsenal réglementaire pour lutter contre les « logiciels permissifs »… Car la mise en oeuvre de ces mesures, dans l’urgence depuis deux ans, ne cible qu’un bénéfice budgétaire ou politique immédiat. Chaque fois, il nous est servi que la fois prochaine seront respectés les principes de simplicité, dont le premier d’entre eux : celui de rassembler, en une ou deux dates par an seulement, les modifications majeures des procédures et démarches pour les entreprises. A ce jour, cette prochaine fois n’est jamais venue.
Cet étatisme prend ses racines après la Seconde Guerre mondiale. L’Etat prend alors les rênes d’une France profondément déchirée, trahie par elle-même. Une défiance durable s’installe. N’ayant plus confiance dans l’entreprise, l’Etat l’assomme de règles et la somme de se justifier en permanence. Ce qui a commencé au sortir de la guerre perdure, nous sommes pris dans un cercle vicieux. Mais l’entreprise cesse également d’avoir confiance en l’Etat quand elle découvre les lois fiscales publiées fin décembre mais prenant effet le 1er janvier précédent, soit 12 mois en arrière. Quand l’Etat se mêle ainsi de tout pour corriger soudain tant le passé que l’avenir, cela devient forcément compliqué. Notre société s’organise ainsi dans la défiance, en multipliant les protections et les défenses, de sorte qu’il ne reste plus de temps ni d’énergie pour la production : celle-ci se perd dans des tractations telles que le « pacte de responsabilité », où personne ne prend précisément ses responsabilités mais cherche à limiter son engagement.
Quand on demande aux entreprises ce qu’elles pensent des motivations du grand projet DSN annoncé par le Président de la République comme partie du choc de simplification, que répondent-elles en premier ? Davantage contrôler l’entreprise (étude SDDS sur un échantillon de 384 entreprises, mars 2014). Au reste, cette fameuse DSN ne vise-elle pas aussi contribuer à la lutte contre la fraude et le déficit de l’assurance-chômage ? L’arsenal réglementaire pour lutter contre les « logiciels permissifs » et créer des principes nouveaux de solidarité – pour sécuriser le recouvrement de l’amende ou la condamnation – ou, bientôt, le « compte personnel de prévention de la pénibilité », s’inscrivent-ils vraiment dans une démarche de simplification au profit de l’entreprise, employeur comme employé ?
6 règles simples à suivre pour simplifier avec succès
Est-il à ce point compliqué de simplifier que rien ne puisse se faire ? Faut-il succomber à la tentation de la facilité, tout mettre à terre et repartir de zéro ? Non, mille fois non ! Notre conviction est qu’il faut patiemment, délibérément, régulièrement et obstinément appliquer des principes simples, plutôt que de proposer encore et toujours de nouvelles mesures à empiler ; un empilement qui, le plus souvent, est celui de rapports diligentés sans autre forme d’utilisation.
1 ) Le bénéficiaire de la simplification doit être l’entreprise
Se contenter de ce qui parait le plus simple pour tout le monde est une démarche n’aboutissant qu’à une simplification très limitée, peut-être même déjà mise en oeuvre. Pour simplifier, il faut déterminer le bénéficiaire de la simplification, le « client » à qui l’on souhaite réserver une « bonne expérience utilisateur ». Ce client, aujourd’hui, c’est l’entreprise, cette organisation humaine qui apporte des emplois.
2 ) La « maintenance » d’une procédure ou d’une loi doit être prévue dès sa conception
N’importe quel acteur de l’économie calcule son retour sur investissement en tenant compte des coûts répétitifs et des modifications curatives et évolutives pendant la durée de vie de son investissement. Il doit en être de même pour le chantier de simplification ; le « retour sur simplification » doit prendre en compte la complexité découlant des modifications et changements pendant la durée de vie de la procédure.
3 ) Une étude d’impact préalable et une évaluation a posteriori doivent accompagner chaque nouvelle loi
L’idée, l’intuition, la conviction ou tout simplement le dogme doivent subir l’épreuve du feu, la réalité du terrain. Les raisonnements politiques ressemblent trop souvent à des moteurs rugissant en position débrayée et qui s’étouffent dès qu’il s’agit de trainer la carrosserie et sa charge. La solution est l’étude d’impact, l’évaluation post application et un circuit correctif et répétitif court.
4 ) Il faut respecter les « cycles naturels » de l’entreprise pour lui imposer les changements majeurs
Le changement a, lui aussi, un coût et une complexité. L’entreprise est un organisme vivant. Essayez d’élever un enfant en lui changeant en permanence les règles, ordres ou consignes et vous verrez le résultat. Respecter simplement la circulaire Fillon du 23 mai 2011.
5 ) Il faut rendre les procédures lisibles en partageant, chaque fois que possible, les mêmes indicateurs que l’entreprise
Sur au moins un point, l’Etat et l’entreprise peuvent échanger à partir des mêmes indicateurs : les hommes et donc le social. Il faut poursuivre les travaux sur le référentiel initiés dans le cadre de la DSN.
6 ) Il faut rétablir la confiance via la concertation
Le mal de la défiance est parfois dévastateur et l’on ne prétendra pas le résoudre ici : mais, à l’échelle de l’entreprise, la concertation représente déjà un grand pas. Elle permet de créer ce lien indispensable entre la compréhension d’une problématique et la compétence pour lui apporter les meilleures solutions. Le travail coopératif sera toujours plus efficace que les promesses pour rétablir la confiance.