Interview de Sylvain Letourmy, Directeur Stratégie Solutions RH, Oracle France
09 novembre 2023
SDDS : Quel est votre parcours qui vous a mené actuellement à vos fonctions au sein d’Oracle ?
Sylvain Letourmy : Je suis de formation Ingénieur Civil des Mines de Saint-Étienne. J’ai commencé ma carrière dans un cabinet de conseil en stratégie chez A.T. Kearney*, avant de rejoindre une start-up dans le domaine de la gestion des talents, qui s’appelait Trivium, dans laquelle j’ai pris la responsabilité de directeur de la business unit « Gestion de capital humain ».
(*cabinetde conseil en stratégie américain, spécialisé sur des problématiques de management de direction générale),
Cette start-up a fusionné avec Open Portal Software, autre acteur français spécialisé en gestion de la formation et centres de formation. Cette aventure entrepreneuriale m’a occupé les douze premières années de ma vie professionnelle. Je faisais d’une part de la gestion des talents et des compétences, des entretiens annuels, et d’autre part de la gestion des centres de formation et des campus.
Ensuite, en 2013, j’ai décidé de rejoindre Oracle qui était au tout début de sa transformation vers le Cloud. Déjà dix ans ! J’ai assez rapidement pris la direction de la stratégie des solutions ressources humaines pour l’Europe du Sud – cela couvre la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal. L’ambition de ce poste est d’accompagner le développement commercial et la visibilité d’Oracle sur le périmètre des solutions Cloud RH.
Vous êtes très impliqué dans l’innovation digitale et notamment l’IA appliqué à vos métiers.
C’est une des raisons pour lesquelles j’ai rejoint Oracle. Les années 90-2000 étaient essentiellement dominées par des acteurs IT et des fournisseurs de solutions, dites On-Premise, qui avaient une couverture fonctionnelle assez large, mais peu spécialisée.
Dans les années 2000-2010, on a vu l’essor des premières solutions Cloud, mais de type Best of breed, avec des spécialités par silo.
A partir de 2010 jusqu’à aujourd’hui, l’ambition est de décloisonner les différents domaines fonctionnels des ressources humaines. Cette période est marquée par des ruptures technologiques qui se sont enchaînées, avec l’arrivée de grandes plateformes de données et la nécessité de basculer sur des accès en format mobile.
Ce décloisonnement, l’internationalisation, ces ruptures technologiques m’ont fait penser que les très grands acteurs du domaine de l’édition logiciels allaient retrouver un poids et une envergure majeurs pour les années suivantes. C’est ce qui a motivé mon arrivée chez Oracle.
L’IA est un peu le couronnement de ces mutations technologiques de ces 20 dernières années. On constate beaucoup d’attractivité autour du thème de l’IA. Mais ce n’est pas une baguette magique pour résoudre tout ce qui aurait dû être fait en amont. Je pense notamment à la qualité des données, la mise en place de référentiels, la normalisation des données RH… Ce sont des préalables pour profiter pleinement de ce que l’IA peut offrir.
Mais l’IA, appliquée aux RH, ne pose-t-elle pas un problème sur l’usage de ces données ?
Tout dépend de l’usage de l’IA, qui l’utilise et comment.
La première alerte est d’observer ce qui se passe dans l’entreprise actuellement, sans solution d’IA internalisée. On s’aperçoit qu’il y a déjà des centaines de collaborateurs au sein des entreprises qui se connectent sur ChatGPT, posent des questions, obtiennent des réponses. Et puis, pour affiner la qualité de ces réponses, ils fournissent des données qui sont parfois sensibles. L’absence de cadre dans l’usage de l’IA amène déjà des dérives, dont on ne tire pas forcément encore toutes les conséquences aujourd’hui.
Oracle a une approche très particulière, en tant qu’acteur à la fois de la gestion des données et du cloud computing. Nous avons nos propres serveurs, nos propres systèmes d’exploitation, nos propres datacenters (45 datacenters dans le monde, dont 2 en France).
C’est donc une garantie de confidentialité de ces données.
Absolument. Nous sommes un acteur technologique autonome. Nous offrons tous les moyens permettant à nos clients de respecter les réglementations européennes en matière de gestion et de confidentialité des données, notamment la RGPD.
Partagez-vous la crainte de quelques acteurs qui posent la question de sécurité de l’accès aux données, notamment avec les échanges entre les entreprises et l’État, les déclarations, les transmissions, qui seront renforcées avec la facture électronique ? L’IA ne renforce-t-elle pas le risque ?
Nos clients nous font confiance quand ils nous fournissent des données de nature confidentielle. Car si notre mode de gestion et de mise à jour des applications est industrialisé, pour autant, les données des clients sont stockées dans une base de données qui est étanche de tout autre environnement. De plus, les données gérées sont cryptées et les personnels d’Oracle qui sont amenés à faire de la maintenance n’ont accès aux données « en clair ». Seul le client, avec sa clé de chiffrement, peut accéder à ses données.
Concernant l’IA en particulier, il y a deux sujets. Le premier, c’est l’exploitation de la masse de données pour générer un modèle d’IA qui va être appliqué à un périmètre. Le second, c’est l’usage de ce modèle, pour un client donné, dans le contexte de son application. Nous sommes très vigilants sur le fait que, quand nos clients utilisent un modèle d’IA fourni par Oracle, celui-ci n’impacte que le périmètre de leurs données, ce qui leur permet d’être assurés que leurs données ne sortent pas de leur environnement.
On peut considérer que l’IA générative apporte un bénéfice assez flagrant sur la productivité, pour des tâches qui étaient rébarbatives ou sur lesquelles existait un trop important niveau de procrastination. L’IA générative possède un effet déclencheur dont on perçoit les bénéfices tout de suite.
Pouvez-vous nous faire un flash-back des dernières années sur les développements d’Oracle dans le domaine des logiciels RH. Oracle est nouvel adhérent à la SDDS mais elle avait déjà adhéré.
Oui, en effet, elle était adhérente il y a un peu plus de 20 ans maintenant, avec PeopleSoft rachetée par Oracle, fournisseur de solutions de gestion de la paie et gestion administrative. C’étaient des solutions On-Premise et quelques grands clients en France sont encore utilisateurs de ce module.
Ensuite, il a eu cette parenthèse parce que, dans sa bascule vers le Cloud, Oracle a réalisé une transformation totale de son business model. On était dans un monde à plusieurs centaines de solutions, parfois écrites dans des technologies différentes, toutes dans un modèle On-Premise, avec la vente de licence et la maintenance annuelle.
Et il y a maintenant 12 ans, Oracle a décidé de réécrire 100 % de son portefeuille d’applications et de le faire from scratch. On a réécrit toutes nos solutions sur une plateforme commune, qu’il a fallu construire au préalable. On a développé des solutions pour les ressources humaines, la finance, planification, la relation clients, puis pour la supply chain et certaines solutions verticales par industrie. Nous avons en effet fait le choix de développer de véritables solutions cloud, que l’on appelle « SaaS » (Software as a Service), et non peu seulement des solutions applicatives qui seraient hébergées dans le cloud. La différence est tout à fait fondamentale en matière de transformation numérique.
Il a bien sûr fallu du temps. Concernant l’applicatif pour les ressources humaines, nous avons débuté par les modules autour de la gestion administrative, la gestion des talents, la gestion de la formation, le recrutement, la rémunération, tous les modules autour de « l’expérience employés », du reporting, de l’analytique… Dès les phases de conception, on a inclus un moteur de paye.
Mais on a choisi nos batailles. Du fait de notre expérience, on était conscient que la paye française est la plus compliquée au monde ; nous étions bien placés pour le savoir, puisqu’on avait déjà un outil de gestion de la paye. On a donc débuté par des pays que l’on considérait comme présentant une complexité moindre et une opportunité de développement commercial plus immédiate.
On a déjà couvert une douzaine de pays, comme Les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Brésil, l’Inde, des pays du Moyen-Orient, etc.
La France est le 12ᵉ pays abordé. Il ne s’agit pas d’un développement en tant que tel mais de la configuration d’un moteur qui existe dans notre application, sur la base des connaissances qu’on a du marché français. Et c’est là évidemment où la SDDS entre dans le périmètre, afin d’accéder à son apport, à la fois de veille, d’état des lieux et d’anticipation des réglementations. Et puis, en retour, en tant qu’acteur technologique, nous pouvons aussi jouer un rôle dans des suggestions ou des orientations, en collaboration avec nos pairs, afin de co-construire avec les différents acteurs et les pouvoirs publics.
Allez-vous participer à un groupe de travail prochainement ?
Ma collègue Elisabeth connaît bien la SDDS et m’a informé des différents groupes de travail. Je ne serai pas forcément le plus pointu sur des sujets de paye en tant que tel, mais j’aurai plaisir à participer à d’autres thèmes qui pourraient être abordés, autour de l’IA, de la RSE…
Il faudrait créer un groupe de travail transversal sur ces sujets… Quelles seront vos prochaines missions ou quels sont vos enjeux dans les mois qui vont suivre ?
Le premier sujet est une réflexion sur l’avenir de l’environnement de travail. On repense les interactions, les attentes d’une façon assez libre par rapport à ce qui existe aujourd’hui, en dehors du cadre traditionnel, sans se mettre de limites préalables liées à des silos. Quand je dis « silos », appliqué à la RH, je pense aux silos fonctionnels qui existent au sein de la DRH. Je pense aussi aux collaborations de la direction des ressources humaines avec d’autres acteurs de l’entreprise, en interne ou en externe.
On essaye de concevoir des expériences de vie, des expériences d’environnements de travail modernes, fluides, faciles d’accès : des accélérateurs de dynamique humaine. Cela nous amène à proposer chez certains de nos clients une approche dite « de plateforme », dans laquelle on va dématérialiser toute la partie RH, mais aussi finance ou planification, avec un environnement, une ergonomie unique et des référentiels partagés entre la RH et la finance.
Cela permet de fluidifier, par exemple, toute la partie planification budgétaire des effectifs, d’arriver en comité de direction avec des indicateurs RH et financiers qui sont accordés puisque basés sur des données et des règles de calcul partagées. Ça permet de faire un saut qualitatif sur le mode de fonctionnement d’une organisation, appuyant davantage sur la prise de décision et beaucoup moins sur le questionnement à propos de la validité des données qu’on manipule.
Cela permet d’avancer comme étant un outil d’analyse et de gestion, à partir des données collectées ?
Exactement. Je n’ai pas encore parlé de notre Suite Cloud HCM (Human Capital Management). C’est une solution qui possède la plus vaste couverture fonctionnelle qui existe sur le marché des ressources humaines : le recrutement, le on bording, l’embauche, la paye (qui arrive très bientôt), la gestion des temps, la formation, la performance, la succession, la révision salariale…
On a aussi des outils assez uniques de communication, pour la communication RH, avec une audience ciblée, un message ciblé. On a des outils de pulse survey ou de baromètre social embarqués dans l’outil, des outils de data visualisation, comme un datawarehouse RH préconfiguré, avec des outils de visualisation qui vont directement chercher les données RH.
Au-delà de visualiser les données, cela permet de consulter les données d’origine pour réaliser une action. Imaginons qu’on étudie les collaborateurs qui sont sur des niveaux de potentiels élevés, avec des rémunérations qui ne seraient pas alignées par rapport à leurs contributions. Là, on est dans l’environnement décisionnel et on peut retourner vers les transactions RH, pour opérer des modifications. Précédemment, il n’était pas possible de procéder à ces actions de façon fluide.
Nous créons quelque chose de plus souple et de plus accueillant pour les utilisateurs, les employés, et les managers. Parce qu’ils possèdent un regard un peu différent en tant qu’utilisateurs, ils attendent un niveau de confort élevé dans l’usage. Cela concerne les fonctionnalités et également les matériels pour accéder aux informations. On a beaucoup travaillé, par exemple, sur l’accès mobile. Aujourd’hui, 100 % des fonctionnalités sont réalisées en premier lieu pour être accessibles depuis les terminaux mobiles. C’est un prérequis.
La solution Cloud HCM Oracle concerne près de 4 000 clients dans le monde et 45 millions d’utilisateurs, juste sur la partie Ressources Humaines. Oracle est maintenant incontournable, comme l’observent les différents analystes du marché : par exemple, Oracle vient d’être nommé leader du Magic Quadrant 2023 de Gartner® pour les suites cloud HCM dédiées aux entreprises de plus de 1 000 collaborateurs, et ce, pour la 8ème année consécutive ! Et la France est l’un des pays les plus en avance sur l’adoption de la solution.
Je vous propose de conclure en évoquant vos activités en dehors du travail, afin qu’on vous connaisse un peu plus.
J’ai vécu à Paris pendant une vingtaine d’années. J’ai décidé de quitter Paris il y a deux ans. Je suis maintenant installé à Angers avec ma grande famille ; j’ai cinq enfants.
La famille m’anime beaucoup au quotidien et cela remplit naturellement aussi mon agenda. C’est une extension de mon activité de gestion du capital humain ! Dans la maison, je suis très occupé par des travaux de toutes sortes, d’aménagement, de décoration… que je fais beaucoup par moi-même.
Je tâche également de me garder du temps pour des activités sportives ; j’ai ainsi fait par exemple le marathon de Paris il y a trois ans.